vendredi 18 mars 2011

AIDANT-E-S SEXUEL-LE-S - Une vraie fausse bonne réponse


une vraie fausse bonne réponse à la question SEXUALITE et HANDICAP

S'il existe une vraie question « SEXUALITÉ ET HANDICAP », il me paraît, en tant que sexologue et directrice d'un centre de formation en sanitaire et social, que l'aidant sexuel[1] est une vraie fausse bonne réponse.

1- C'est la même illusion que les maisons closes
- Organiser un service sexuel payant propre et honnête et satisfaisant : aucun pays à aucune époque n'a jamais réussi ce challenge. [2]
- Penser que si on n’a pas accès spontanément à la satisfaction sexuelle, on peut l’acheter : cela fait la fortune des proxénètes et autres vendeurs de potions du bonheur.

2- Les glissements sémantiques : prostituées, puis caresseurs sont devenus aidants sexuels.
Aider à la sexualité, les personnels de proximité[3] le font : aide au déshabillage, installation dans un lit, conseil sur la contraception, sur une position facilitante, etc.
Pratiquer des touchers sexuels, ce n’est plus aider, c’est passer une limite qu’on appelle le passage à l’acte. C’est cette limite que nous masque le terme policé d’«aidant sexuel».

3- Illusions sur le recrutement des aidants sexuels ...
- On manque de personnel pour accompagner les séjours de vacances et on trouverait du personnel pour pratiquer des touchers sexuels ?
- Quelles sont les motivations des personnes intéressées à agir cette prestation ? Générosité humaine, vocation, intérêt économique, intérêt sexuel, pathologie ?
- Le mariage, exigé lors du recrutement, n'est pas une garantie de santé mentale et sexuelle : le plus haut risque de violence et de viol est dans la famille !!!
- Les aidants sont surtout des aidante-s. Cette question de genre mériterait un long débat.

4- Comment est évaluée cette pratique de touchers sexuels ?
- A partir de quelques témoignages, cette pratique est présentée comme efficace, infaillible, satisfaisante et sans échec. A l’opposé, les personnels médico-sociaux sont présentés comme démunis, incompétents, nuls et non avenus.
- Si c’est efficace, pourquoi ne pas l’intégrer dans les pratiques des professionnels du secteur ?

5- Faiblesses de la formation des aidants sexuels
- Toucher au corps et au corps sexué, c'est prendre des risques de déclencher des réactions particulières : malaises, évanouissement, anxiété, décompensation, etc. Il semble que l'aspect « faire plaisir » occulte totalement cette réalité médicale. - Ce toucher au corps sexué est aussi porteur d’un risque de projection auquel le donneur semble insuffisamment préparé.
Pour rappel, en France, le DU de sexologie, c'est 231h de formation sur 3 ans à la Faculté de Médecine. (et à ma connaissance, aucun sexologue ni thérapeute ne s’arrête là. Il continue à se former et à se faire superviser tout au long de sa vie professionnelle).

6- Et la déontologie ?
            - Si on lève l'interdit de toucher sexuellement à l'usager, au patient, deux questions se posent :
- pourquoi ne pas limiter cette pratique aux professionnels du médical et du psychologique pour essayer de maintenir une garantie contre les abus ?
- pourquoi ne pas étendre cette réponse à toute personne en souffrance sexuelle ?

7- La protection des personnes vulnérables
- La protection des publics vulnérables contre les abus sexuels et contre les abus économiques reste une préoccupation majeure (lois, chartes, déontologie). Permettre des services sexuels  contre rémunération met parait faire fi de cette dimension « vulnérable » qu’elle soit affective, émotionnelle ou intellectuelle ou mentale. (Les personnes handicapées sont souvent grugées par des prostituées, des bars à hôtesses...)

.../...
8- Une démarche étayée sur quelques idées fausses
- les hommes ont des besoins irrépressibles
- l'érection exige pénétration et éjaculation
- la frustration sexuelle génère de la violence (elle génère plus souvent un état dépressif)
- les femmes se suffisent de caresses superficielles
- un aidant sexuel peut contrôler la chaine de ses sensations/émotions et cognitions[4].
- une personne avec handicap se satisfera de touchers déconnectés des affects et des cognitions.
- la prostitution répond à la misère sexuelle (non, le proxénétisme profite de la misère sexuelle)
- la liberté, c’est le sexe sans conséquence
- la sexualité, c'est naturel : ça n'a pas besoin de s'apprendre
- les personnes sans handicap vivent une sexualité libre, sans obstacle majeur (surtout les français !)

9- Pourquoi créer une situation dérogatoire ?
- Les textes de 2002 et 2007 posent le principe de non discrimination. Pourquoi en matière de sexualité demander la réintroduction d'une dérogation ?

10- Pourquoi changer les textes sur le proxénétisme ?
- Comment justifier que pour satisfaire sexuellement un nombre très réduit de personnes (puisque le projet concernerait les personnes avec très grand handicap), il faille supprimer un texte qui vise à protéger des millions de femmes (et d’hommes et d’enfants) de la prostitution et de la traite des êtres humains[5]. Par méconnaissance de la réalité prostitutionnelle, j’espère.

Et enfin, si on parlait vrai : un savant mélange de malaise, de culpabilité ...
- le handicap  génère chez les valides un malaise profond, souvent compensée par une mise à distance plus physique ou psychologique. La revendication « aidant sexuel » portée par des personnes essentiellement IMC – présentant donc un lourd handicap physique mais des facultés intellectuelles intactes démultiplie le malaise chez les valides : gêne, culpabilité, honte, pitié… Autant d’émotions qui ne sont pas bonnes conseillères. Jusqu’à hier, on les cachait loin de notre vue pour s’en protéger. Aujourd’hui, on bascule dans l’inverse : il faudrait leur promettre le droit au bonheur … comme si on en détenait la clé !

... et de fantasmes !
- le valide pense «A sa place, je préfèrerais mourir ». Alors quand ce handicapé lui dit : « Je suis comme vous. J’ai envie de sexe ! ». C’est à proprement parler terrifiant et culpabilisant.

Il est alors difficile au valide de dire au handicapé que quoi que ce soit que nous mettions en place pour compenser, le handicap ne disparaitra pas. Nous pouvons essayer de l’aider à en repousser les limites, mais nous ne gommerons pas sa réalité – ni la nôtre. Et que les aidants sexuels ne disposent pas d’une potion magique que les autres n’auraient pas encore trouvée ! Sinon, il y a longtemps qu’ils auraient fait fortune.

Il faut vivre ce qu’on est, faire chacun notre travail d’exister. Et la sexualité, comme tous les actes de notre vie, mérite attention, découverte, apprentissages, exploration..., essais, prises de risques : Il y aura plaisirs, erreurs, douleurs parfois et si possible des ressentis extraordinaires de liberté, de dépassement et d’amour .... Mais ce n’est pas magique et ça ne s’achète pas ! Ça se construit jour après jour ....


Martine COSTES
L’ESPACE METANOYA




[1] M.Nuss milite pour la formation d'aidants sexuels pour que les grands handicapés bénéficient de prestations sexuelles, sur un modèle testé en Suisse. Pour la mise en oeuvre en France, il demande, avec le soutien de plusieurs fédérations, la modification du code pénal qui déclare proxénète tout « intermédiaire entre prestataire et client de services sexuels ».

[2] Relire les travaux du Dr Parent Duchâlet[2] (initiateur des maisons de tolérance pour enrayer la syphillis) ou Le Pornographe de Restif de la Bretonne (pour répondre aux intenses besoins sexuels masculins). En une génération, ils obtiennent le même résultat : violences, corruption, trafics et épidémies[2]. Les aidants sexuels nous apporterons des déboires similaires : désillusions, accidents, abus et revirement puritain.

[3] AMP, éducateurs, auxiliaires de vie, infirmiers, etc...
[4]    Cognitions : l'ensemble de valeurs, interdits, connaissances et des non-connaissances, croyances, idéologies, etc...

[5] C’est « faire office d’intermédiaire » que certains demandent de supprimer du code pénal (art 225-5 à 10). Cet article est conçu pour pouvoir interpeller des proxénètes quand la police ne peut pas apporter les preuves des pressions exercées ou des échanges d’argent. C’est ce qui permet d’arrêter recruteurs, passeurs et contrôleurs.

mercredi 16 mars 2011

Mourir ou vivre ? Vivre et mourir ?



À l’heure où les insurgés libyens savent la défaite inéluctable …et dans des conditions probables d'une rare violence....
À l'heure où les japonais font face à un scénario apocalyptique que seul le cinéma se permettait d'imaginer...

Que viendrait faire la sexualité ici ?

Aussi étonnant que cela paraisse, quand la vie et la mort se frôlent, les besoins sexuels ne sont pas réduits au silence. Pour se consoler, pour se soutenir, pour – le temps de quelques minutes – faire abstraction de la force implacable de la réalité – le besoin de se lover, se coller jusqu'à ne faire qu'un– et pardessus tout, le besoin de vivre et de se sentir vivre !

Parfois, c’est avec quelqu’un de totalement étranger car la situation ne donne pas le temps d’être avec son amoureux… ou parce qu’on n’a pas d’amoureux, ou parce qu’il vient de mourir, notre amoureux, … Alors, les bras, le torse, le corps et le sexe d’un autre ou même d’une autre seront le meilleur des contenants du monde… Un berceau, les ailes du cygne pour s’envoler, la fusée qui nous arrache au réel …

Parfois seul le rêve de ces moments intenses, vécus ou non, pourront permettre d’effacer un instant l’inacceptable…

La sexualité consolation, la sexualité soutien, rempart contre la peur, l’angoisse ou le désespoir, c’est celle qui nous fait toucher le plus profond de nos besoins existentiels : vivre et rester vivant !  

L'imminence des grandes catastrophes nous intime l'ordre impérieux de nous aimer les uns les autres !

Martine COSTES PEPLINSKI

vendredi 11 mars 2011

Vive les TABOUS - A bas les NORMES

Ce n’est pas les tabous qui nous gênent ...


Des tabous, il en faut. Aucune culture ne fonctionne sans tabou. Et les tabous liés à la sexualité couvrent deux protections essentielles : l’interdit de l’inceste et l’interdit de la violence.   Rien de gênant à ça !

Non, ce qui nous cause bien plus de difficultés ce sont les normes véhiculées par la culture, les statistiques, les stéréotypes, les lieux et les époques....
- l’encodage « sale, moche, vilain » encore véhiculé dans notre culture pour tout ce qui est du génital ;
- pour les femmes, on y ajoute l’encodage « douleur » pour tous les signes émis par le bas ventre ;
- l’impératif draconien des modèles de beauté tant masculin que féminin ;
- l’obligation de performance pour les hommes qui les fait se sentir toujours en dessous du bon niveau... en quantité, en position, en nombre de partenaires, en expérimentation...
- l’obligation de « dire non » si on est une femme honnête, qui empêche les femmes d’exprimer leur sexualité sous peine d’être taxée de salope ou de pute
- l’injonction à jouir, qui pousse à consommer tout le temps, vite et beaucoup...
- la compétition entre hommes : 1 seule place en haut du podium, le 2ème est déjà un perdant, LE prince charmant...
- la compétition entre femmes : 1 seule femme chez les 7 nains, chez les Stroumpf, 1 seule est « LA plus belle » !!

Alors, soignez bien les tabous mais libérez votre sexualité des modèles réducteurs, limitant, culpabilisant. Non, vous n’êtes pas nul(le) parce que vous n’avez jamais fait l’amour sur le Grand 8 ou attaché avec des menottes. Non, vous n’êtes pas coincée si vous n’avez pas encore acheté un sex-toy. Non, vous n’êtes pas ringard si vous vous sentez plutôt fidèle...

La sexualité, ça vit avec la vie, ça s’apprend, ça se développe et si possible, ça se savoure !! Grâce à la contraception qui nous a enfin libéré(e)s du risque de grossesse indésirée, la sexualité que nous pouvons vivre aujourd’hui peut servir à se faire plaisir, à se consoler, à passer un bon moment, à éviter l’ennui ou la solitude, à consolider une relation, mais en tout cas, il n’y a aucune bonne raison qu’elle serve à se meurtrir !!!

Martine COSTES PEPLINSKI – L’Espace METANOYA

mardi 8 mars 2011

Différences Homme/Femme et construction de la famille

Différences homme/femme et construction de la famille


Martine COSTES PEPLINSKI, L’ESPACE METANOYA


Seules les femmes peuvent êtres sûres de leur descendance… Toute femme peut, à tout moment dire combien d’enfants elle a mis au monde, combien elle en a perdu, ou refusé de mettre au monde en avortant. Et dire éventuellement qui est le père. Les hommes peuvent ni être sûrs, ni vraiment les compter…). Et quand une femme dit à un homme« c’est ton enfant », confiance en soi et confiance en l’autre sont mis à l’épreuve chez monsieur.

L’homme doit depuis toujours s’accommoder de cette réalité: il sort du ventre d’une femme, et doit passer par le ventre d’une femme pour transmettre la vie. La femme a dû - avec ou sans le soutien des hommes - nourrir et élever les enfants qu’elle a mis au monde.

Pire, pendant des centaines de milliers d’années, les humains ont attribué la naissance des bébés à la seule magie du ventre féminin, ignorant totalement la part du masculin dans la reproduction humaine…


Au paléolithique récent (-30 000 av JC)
Aucune représentation d’accouplement humain dans l’art paléolithique mondial. Seulement des représentations de sexes féminins et masculins isolés.
Le modèle de compréhension du monde, c’était la nature, les plantes, les arbres. La représentation de la capacité à mettre au monde a donc été interprétée par l’analogie directe avec ces observations : les enfants poussaient dans le ventre des femmes comme poussent les fruits sur les arbres. Comme on priera pour que la nature soit généreuse et on priera pour que le ventre des femmes soit fertile.
On a retrouvé de nombreuses statuettes aux formes généreuses. On les appelle déesse mère. Mystère et pouvoir magique : d’où vient la vie ? Ce secret est longtemps resté scellé dans le ventre des femmes.

Le néolithique (-10 000 av. J.-C.)
Au néolithique, c’est par l’élevage devenu possible avec l’apparition d’animaux plus petits (cheval, chien) que les hommes vont observer la reproduction animale. Ils comprennent alors le lien entre accouplement et grossesse. Apparaissent alors les représentations phalliques dans l’art, le taureau, par exemple. Le sperme devient « essence de vie » (qu’il ne faudra plus gâcher en se masturbant) : le concept de paternité qui émerge.

Un savoir scientifique lent à émerger
Pendant les 12 millénaires écoulés, les explications les plus diverses du mystère de va vie vont être fournies par les sciences et par les religions. Cela ira de la graine que Monsieur doit arroser tous les jours dans un ventre-réceptacle, à Adam et Eve ou la cuisse de Jupiter, ou le St Esprit. Mais ce n’est que vers 1850 que l’on a compris ce qui se passe dans le ventre des femmes.

Incidences de ces méconnaissances sur l’organisation de modèles familiaux
Il est évident que ces méconnaissances sur la répartition biologique inégalitaire vont induire une répartition des rôles sociaux différents pour les femmes et pour les hommes. On peut en tracer deux structurations familiales que l’on trouve dans le monde entier, séparément ou plus ou moins entremêlés selon les lieux et les époques :

1) la filiation par les ventres :
-          fondée sur la filiation sûre :
-          certifiée par la grossesse et l’accouchement
-          pérenne car incontestable
-          indestructible même par la mort
-          son économie : faible prélèvement sur la nature + entraide obligée + troc = faire des enfants qui adultes doivent entretenir les jeunes et les anciens.
-          sa richesse : ses femmes – qui donnent des enfants / ses hommes qui donnent leur force au groupe.
-          entraide et assistance : repose la fratrie axe des devoirs. Ex : c’est l’oncle maternel qui jour le rôle du  « père ».
-          la loi est orale

2)      la filiation du nom du père
-          fondée sur la reconnaissance de l’enfant par son père.
-          s’organise sur la transmission du patrimoine (nom et héritage)
-          seul le fils aîné hérite … le cadet reste sans rien
-          la fille devient inutile
-          pour se garantir des femmes intrigantes, seule la femme légitime pourra revendiquer la reconnaissance de ses enfants par son mari.
-          économie : production intensive + commerce
-          entraide et assistance : la loi du plus fort jusqu’à la révolution française qui propose une redistribution des richesses via l’Etat (SS, retraite, école obligatoire, etc…)
-          la loi est écrite (-4000)

Le système va devenir très vite assez riche et puissant pour envahir les territoires qui fonctionnent sur le 1er modèle. On y trouve encore aujourd’hui un droit coutumier sur le modèle 1 et un droit écrit sur le modèle 2.

Dans les deux structures familiales, la question de la prise de contrôle des comportements sexuels de F pour contrôler la descendance se pose – avec plus ou moins d’acuité selon les lieux et les périodes. Soit on les contrôle pour qu’elles n’aillent pas faire des enfants qui profiteraient à un autre groupe, soit pour empêcher qu’elle ne fasse reconnaître à un homme les enfants d’un autre… Soit pour les 2 ! Autrement dit, la liberté sexuelle des femmes est dangereuse car elle détruirait autant le système clanique (ou groupal/ communautaire), soit le système patrimonial.

Les stratégies pour contrôler les femmes
-          par la force
-          par la dépendance économique
-          par la dépendance civique et civile qui les obligent à se mettre sous la protection d’un homme pour survivre et élever leurs enfants.

Mais aussi par des moyens plus subtils comme
-          faire croire aux filles qu’elles ne sont pas capables de se contrôler ni se défendre seule
-          l’exigence de virginité au mariage puis de fidélité
-          l’enferment physique des femmes adultes (harem, gynécée)
-          le marquage : quand on ne peut par enfermer les femmes (alliance, point de tatouage, excision)
-          la stigmatisation des femmes « de mauvaise vie »
-          et la mise en rivalité des femmes entre elles puisque sans réel pouvoir social et économique, elles doivent obtenir la protection d’un homme pour survivre et élever leurs enfants.
-          Les contes de fées … du Prince Charmant à Barbe Bleue…
-          Etc…

Et des mécanismes de contrôle « indirects », comme :
-          faire croire aux garçons qu’une fille n’est pas capable d’auto-contrôle
-          faire croire aux garçons qu’être un homme, c’est n’avoir peur de rien
-          exiger des garçons le sacrifice de leur vie pour la patrie ou pour « la cause »les histoires de héro ... de Alexandre Le Grand à James Bond
-        
-          etc…

La prostitution : une solution à la sexualité des personnes très dépendantes ?

Publié par Le Lien Social 843 en Juilet 2007
« La sexualité des personnes très dépendantes » -
(en réaction dossier paru en juin 2007 dans Le Lien Social - qui développait l’intérêt du recours à des personnes prostituées pour satisfaire les besoins sexuels des personnes handicapées.)


Depuis 6000 ans[1], malheureux en amour, éjaculateurs précoces, moins bandants, timides, maris dont la femme ne veut plus, mais aussi psychopathes et violeurs payent des personnes prostituées pour le mirage d’oublier 5mn ou 2 jours –selon leurs moyens- ce qui s’appelle couramment la misère sexuelle. Les personnes handicapées aussi. Toulouse Lautrec nous l’a superbement et tragiquement démontré.

Pour les femmes, la prostitution n’a pas été une réponse aussi massive à leur misère sexuelle. Seules les femmes riches et puissantes ont pu oublier dans les bras d’un gigolo qu’elles étaient seules, moches ou que leur mari s’était lassé d’elles… Ceci change avec l’accès à l’égalité et à l’autonomie économique des femmes. Elles sont aujourd’hui invitées, elles aussi, à payer des services sexuels pour compenser leurs insatisfactions sexuelles.

Mais si la prostitution est bien un lieu de quête de solution sexuelle ou de liberté sexuelle, elle n’a jamais ni soigné ni libéré personne. Pour certain(e)s, ils y trouvent un lieu de décharge physiologique mais en aucun cas un traitement de fond quand à leur processus de développement sexuel. Je m’étonne alors que le recours aux services de personnes prostituées puisse être envisagé par des professionnels de l’action sanitaire et sociale comme la dernière innovation, une innovation révolutionnaire, un battage en brèche des tabous et du moralisme, la seule perspective d’accès à une sexualité épanouie. Et que les personnes prostituées qui n’ont aucune formation médicale, psychologique et sexologique soient regardées par des professionnels de la santé comme des expertes es-sexualité.

À partir de quelle définition de la santé sexuelle revendique-t-on pour les personnes handicapées (ou pour les mieux portants) un droit ? Comment détermine-t-on leurs besoins ? Comment a-t-on travaillé avec eux le désir qui va de la simple décharge physiologique (nécessaire à tous !) au désir d’un lien plus complexe ou plus profond (nécessaire aussi à tous) ? [2]

Droit à quoi ? À un rapport sexuel par semaine, par mois, par an ? 20 mn ou 2 heures ? Par le vagin, par l’anus ? Avec baisers ? Avec câlins, avec tendresse, avec énergie, avec violence ? Avec ou sans suite amoureuse ? Avec enfant ou sans enfant ?

La Suisse et la Hollande sont présentés comme des pays d’avant-garde pour oser utiliser des personnes prostituées pour satisfaire la libido des personnes handicapées. Pourtant, je vous rappelle que Grisélidis Réal, décédée en 2006, n’a pu être enterrée au cimetière de Genève car elle avait demande d’inscrire sur sa tombe : prostituée et écrivain. La condamnation morale de la société y est la même qu’en France : aucun parent suisse ou hollandais n’accueillera avec joie son fils ou sa fille disant : je veux devenir prostitué(e). Et aucune personne prostituée non plus.

Dans ces pays, les personnes prostituées n’ont qu’une tolérance sans réel statut  juridique, fiches de paye, couverture sociale et fiches de poste :
-          quelle formation ?
-          quels services sexuels doivent-elles accepter ? Combien ?
-          quelle reconversion quand patrons et clients n’en veulent plus ?
-          quelle protection des maladies liées à leur exercice ?

La France est présentée comme ringarde, engluée dans de vieux principes judéo-chrétiens de droite. Pourtant, c’est au nom d’une analyse politique qui a émergé à la fin du XIXème siècle dans la dynamique des luttes pour les droits de l’homme et qui lit dans la prostitution un rapport d’esclavage que la France a renoncé aux bordels légaux en 1946 et inscrit les personnes prostituées dans un statut de victime depuis 1960[3]. Ce mot victime doit s’entendre non comme de la compassion mais comme un statut juridique rappelé dans le Code de l’Action Sociale et des Familles (Art L121-9). Victime en droit implique secours, protection, soins et aide sociale et la possibilité de porter plainte et/ou de se porter partie civile contre un proxénète Il est donc inconcevable de demander à des victimes de continuer de se prostituer – même pour d’autres victimes de vie : les personnes handicapées. Et un établissement qui utiliserait des personnes prostituées pour ses résidents serait passible de proxénétisme car « aidant ou assistant la prostitution d’autrui » (Code Pénal art.222-5 et suivants).

Enfin, je vous invite à réfléchir sur les tarifs annoncés : 120 euros pour 20 mn. Qui, dans le social et la santé, gagne un salaire pareil ? Quatre fois plus qu’un médecin, qu’un kinésithérapeute, trois fois plus qu’un psychologue, 10 fois plus qu’une aide-soignante. Qu’est-ce qui justifie ce prix ?
-          le sexe vaudrait plus cher que l’hygiène et les soins quotidiens ? plus cher que l’éducation, la santé mentale et la santé physique ?
-          leur formation professionnelle ?
-          notre culpabilité de leur laisser « les basses tâches » ?
-          notre désarroi face aux questions de sexualité ?
-          le marché : les handicapés sont un marché florissant déjà pour bien du monde…

Si je comprends fort bien que des personnes prostituées trouvent une légitimité dans l’aide aux autres, je pense que les professionnels de l’action sanitaire et sociale ne peuvent pas s’engouffrer dans l’illusion de détenir ici la solution à la question de la santé sexuelle des personnes handicapées :
-          ces expérimentations sont rarissimes.
-          les personnes qui pratiquent ces actes ne s’en trouvent pas psychiquement mieux que tout soignant qui verrait ajouté à sa fiche de poste de pratiquer fellations, caresses ou coït avec les résident(e)s.
-          les caisses de remboursement sont des assurances privées. Nous ne pouvons imaginer la SS remboursant ce type de service quand elle ne rembourse encore pas la contraception, qu’elle déclasse les médicaments remboursés par centaines et qu’elle crée franchises et autres pénalités pour les malades.

La santé sexuelle est une vraie question. Et la sexualité des handicapés est bien sûr une source de souffrance majeure. Qui nous engage à travailler, à innover mais sûrement pas à se débarrasser du problème sur des personnes dont nous ne voudrions pas prendre la place ! Et s’il fallait former les personnes prostituées à la sexologie et à la thérapie, elles y apprendraient que le B.A. BA de la déontologie est de ne pas toucher sexuellement son patient. Elles y apprendraient comment on donne à chacun les moyens de faire plus et mieux avec son propre corps au lieu d’entretenir dans l’attente magique que quelqu’un va réaliser pour eux un miracle.

Non, il n’y aura pas de miracle sexuel pour les handicapés. Ils ne pourront pas faire comme s’ils n’avaient telle ou telle atteinte physiologique, neurologique ou mentale. Ils doivent – comme tout le monde – apprendre à faire avec ce qu’ils sont. Une réelle éducation à la sexualité pour des personnels soignants et des personnes elles-mêmes peut les y aider – tant sur les besoins physiologiques que sur les besoins relationnels – que sur la gestion des frustrations et leur potentialisation en énergie plutôt qu’en plainte. Le film de JY DESJARDINS « A mi-corps », exposant le travail sexologique effectué avec un homme paraplégique en est une illustration exceptionnelle. Mais bien sûr, cela nous oblige à confronter nos connaissances, nos peurs, nos tabous.

Car handicapés ou non, nous devons tous faire avec le corps que nous avons, travailler à se l’approprier pour gérer nos désirs, notre excitation sexuelle dans une dynamique de développement sexuel continu tout au long de la vie. C’est un travail – pas une solution magique. Alors regardons la sexualité en face, analysons besoins et moyens et travaillons à libérer les énergies sexuelles – non à les évacuer.

Martine COSTES PEPLINSKI
Sexologue (Fac de Médecine de Bobigny)
Formée à l’approche sexo-corporelle.
Auteur : Nature, Culture, Guerre et Prostitution- L’harmattan 2002- Coll Sexualité Humaine
L’espace METANOYA
metanoya@metanoya.org


[1] La prostitution apparaît à partir de 4000 av JC et s’institutionnalise pour la 1ère fois en 500 av JC à Athènes.
[2] L’approche sexo-corporelle distingue la décharge sexuelle physiologique – ORGASTE de l’ORGASME qui associe à cette décharge des dimensions émotionnelles dans une gamme qui peut varier de la volupté à l’extase.
[3] Ce statut juridique qui est bien sûr mis à mal depuis les mesures prises par la LSI en 2003 quand M. Sarkozy était Ministre de l’Intérieur.

Toujours existé, la prostitution ? Bien sûr que non !

Toujours existé, la prostitution ? Bien sûr que non ! ! !

La prostitution, que ça nous plaise ou non, elle existe. Nul ne peut la nier. Par contre, à ceux qui prétendent qu'elle a toujours existé, je me permets d'affirmer haut et fort que c’est faux. La prostitution n'a pas toujours existé, bien sûr que non ! L'homme n'est pas apparu sur la planète avec la prostitution sous son bras. C'est un processus qui s'est construit. Et tardivement après que l'homme ait appris à chasser, à faire le feu, à cuisiner, à enterrer ses morts ou à peindre sur les murs des cavernes, à semer et à domestiquer les animaux !

Les plus anciens ossements humains retrouvées remontent à 6 millions d’années, le premier outil date de 2,5 millions d’années alors que la prostitution apparaît, comme la guerre, seulement à la fin du néolithique, soit vers -4000 ans avant JC au grand maximum. C’est dire si hommes et femmes ont partagé mille autres occupations et préoccupations pendant plusieurs millions d’années avant de s’adonner à celle-ci ! Oui, à l’échelle de l’humanité, la prostitution vient à peine d’apparaître ! Alors pourquoi l’idée que ce serait le plus vieux métier du monde fonctionne-t-elle encore si bien ? Pour laisser croire que les femmes ont toujours été soumises au pouvoir de l’homme, de l’argent et du sexe ?

Nature et sexualité humaine, une douce illusion...

       Pour survivre, l’homme a dû apprendre à réguler, canaliser, contrôler, gérer toutes ses pulsions et tous ses besoins, sexualité y compris ! Or, la double assertion, que la prostitution a toujours existé et que l’homme ne peut pas contenir ses besoins sexuels, conforte le fantasme d’une sexualité masculine restée animale, en l’état où la nature l'aurait vu naître... Que les hommes, les vrais, seraient restés au creux du bas-ventre soumis à des besoins, envies ou désirs irrésistibles, à un rut imprévisible, incessant et si impératif qu'il faut partout des femmes aux sexes toujours prêts à les recevoir.

Ainsi l’homme, le mâle, celui-là même porte des cravates et des chaussures, qui mange du fast-food, s'entasse dans le métro, supporte les embouteillages, s'envole en Concorde, fabrique des bébés dans des éprouvettes et vient d'inventer les clones... celui-là, le même ne pourrait pas se maîtriser, se retenir quand il bande. Il subirait la pulsion sexuelle comme l'ordre impératif de trouver dans l'instant un réceptacle pour son sperme !

Bien que cela soit très naïf dès qu'on accepte d'y réfléchir, il semble que nous nous efforçons tous de croire que la sexualité de l’homme aurait échappé à l'évolution, à l’intelligence, au raisonnement, à la morale, à la répression comme au fantasme ! Et à sa volonté aussi !

Face à la science, ce raisonnement ne résiste pas plus d'une seconde car si l’homme détient justement une particularité par rapport à l’animal sauvage et aux végétaux, c'est bien d’avoir pu se distancier de son cadre biologique, de son code génétique. L’Animal et le Végétal, eux,  sont totalement soumis aux ordres émis par leur biologie. L’animal ne boit que s’il a soif, ne mange que s’il a faim. Il ne vole que si son équipement physique le lui permet. Dans le règne animal, comportement, accouplement et reproduction sont totalement régis par des lois biologiques qui font que si le bouc n’est pas en rut, inutile de lui amener la chèvre ! A l’inverse, s’il est en rut, inutile d’espérer le calmer en augmentant sa ration alimentaire.

L'être humain, lui, peut jouer avec ses besoins les plus vitaux, et ce, dans une gamme très étendue. Il pourra faire des orgies ou boire sans soif. A l’inverse, il pourra faire la grève de la faim, faire un régime ou une ascèse, se mortifier, se mettre en danger et jouer avec la mort. L'homme peut ordonner et faire subir à son corps des quantités d’aberrations contre nature mais que sa culture lui commande comme se faire hara-kiri, par exemple, ou encore tuer pour des idées... Le mot est lâché : la prostitution, c’est un phénomène culturel. Pas naturel du tout.

En sexualité, il pourra aussi agir sur toute une gamme, de la privation volontaire ou forcée, à l’orgie volontaire ou forcée. Son corps le peut. L’animal à l’état sauvage ne le peut pas. Et même bien domestiqué, vous aurez peine à contrôler ses ruts et non ruts. Tous les dresseurs et éleveurs le savent bien !

L'homme, sans maîtrise ni contrôle sexuel, s’emparant à l’aveuglette des femmes qui éveillent en lui des pulsions, ce raisonnement ne tient pas non plus face à l’anthropologie. Aucun homme ne s’empare de femmes «au hasard ». Tout homme sait et a toujours su quelles sont les femmes auxquelles il peut prétendre et celles qu’il ne peut pas toucher : les interdites sont celles qui appartiennent à un plus puissant que lui. En dessous de lui, seul son gendarme intérieur lui indiquera s’il peut prendre sa soeur, la femme de son voisin, la femme de son fils, la femme de son frère, la femme de son serviteur ou sa propre fille. Et ce gendarme intérieur lui indiquera aussi les femmes auxquelles il peut dire : « Combien pour une pipe ? ». Il est clair que ce gendarme intérieur qui va socialement réguler ses pulsions sexuelles, ce n'est pas de l'instinct, ce n’est pas de la nature, c'est bien de la culture !

Cela dit, la culture n’est pas uniforme sur toute la planète. Selon les données climatiques et géographiques, les adaptations culturelles ont varié. Nourriture, comportements, rituels et normes diffèrent d'un endroit à l’autre. Ici, il sera bon de s’embrasser sur la bouche quand ailleurs, c’est impensable. Pour la prostitution, c’est pareil : elle ne s’est pas développée partout. Quand, au 15ème siècle, les européens sont partis explorer la terre, ils ont découvert des peuples, en Afrique, en Amérique, dans le Pacifique, chez qui la prostitution était un mode de relation totalement inconnu. Dans bien des contrées, la prostitution est restée aux yeux des autochtones, pendant ces quatre derniers siècles, une pratique étrange et attachée aux mœurs du colon... jusqu'à ce que le modèle amené par le blanc répande la pratique prostitutionnelle dans tous les pays. Il ne doit rester aujourd’hui que quelques îlots ethniques sans prostitution.

Alors quand et où a-t-on vu apparaître des rapports prostitutionnels ?

Pendant 6 millions d’années, un monde sans prostitution
Les traces que nous trouvons de notre longue préhistoire nous prouvent qu’une loi s’est imposée à l’être humain : celle de la survie par le groupe car personne n'aurait pu survivre isolément, ni même en couple, à aucun âge de la vie.

On a longtemps cru que les premiers groupes s’étaient comportés en horde dans une sorte de sauve qui peut. Les paléontologues nous prouvent aujourd’hui que c’est faux. Que si l’homo a survécu, c’est au contraire que les gens ont fait attention les uns aux autres. Si l’espèce homo a pu traverser des millions d’années sans feu ni flèche, c’est qu’elle a eu l’intelligence de l’entraide, bon gré mal gré. L’intelligence de prendre le temps d’élever les petits, de protéger les plus faibles … sinon nous n’aurions jamais peuplé la terre et notre espèce serait depuis longtemps disparue. On a trouvé des preuves de ces solidarités : par exemple, quand un squelette porte de cicatrices de blessure réparée, parfois des traces malformations congénitales graves chez des adultes, ceci atteste que le groupe prenait soin de tous, pas seulement celle des plus forts ou des plus utiles.

Durant tout le paléolithique, les moeurs des groupes semblent paisibles car notre ancêtre est faible face à un monde hostile et sa stratégie majeure, c’est l’évitement du danger et du risque. Même la chasse ne lui est pas possible tant qu’il n’a pas d’outils. L’Homo vit d’une économie dite de «prédation » : il cueille sur un terrain de plusieurs kilomètres carrés où femmes et enfants circulent librement. Les groupes se déplacent pour se nourrir et c’est ainsi que ce très grand marcheur qui peut parcourir plus de 50km par jour va essaimer sur tous les continents !

L’espérance de vie dépassant rarement trente ans, les progrès seront lents et les vies soient précieuses ! Le feu ne sera domestiqué que vers -450 000 ans. On trouve des traces de sépulture qui remontent à 100 000 ans. Et l’art se développe à partir de 50 000 ans en Australie, 35 000 ans en Europe … Ainsi, ces hommes ont conscience de la mort, vivent des attachements, peignent les grottes et sculptent, … Autant de signes d’une spiritualité active !

Toutes les fouilles mettent en évidence que les premières croyances ont honoré les femmes. Plus exactement la déesse-mère. Il semble bien que la femme, par et pour sa capacité à donner la vie, ait été le premier objet de vénération. Et de crainte ! La puissance exceptionnelle de mettre au monde a été perçue comme extra-naturelle, magique, au point que ces croyances ont attribué aux femmes la capacité à reprendre la vie  autant qu’à la donner : nombre de mythes parlent de la mort comme d’un retour dans le ventre de la mère.

Et il n’y a toujours pas de prostitution !

La première trace d’une guerre
Après une nuit des temps que les anthropologues et la technologie moderne nous aident à compter et imaginer, la vie de l’homo sapiens sapiens va être bouleversée par la découverte de l’agriculture et la domestication des animaux. Pour la première fois, au lieu de vivre en quasi parasite sur la terre, l’homme va comprendre qu’il peut intervenir sur la nature, sur l’ordre des choses : faire pousser quelque chose et dresser un animal. On est entre 12 000 et 10000 ans avant JC. C’est l’aube d’un nouvel âge qu’on appellera le néolithique.

La conséquence pratique de ces découvertes technologiques, c’est la sédentarisation. L’homme qui marchait sans cesse pour trouver sa nourriture va commencer à se poser. Temporairement, d’abord (vers 12 000 avant JC), puis de façon durable (vers 5000 ans avant JC). Les groupes vont cesser petit à petit de nomadiser : on voit apparaître des villages... et les premiers conflits de territoire ! La première trace, relevée au Soudan, est datée de 11000 ans avant JC. Il s’agit d’une nécropole d’environ soixante corps dont vingt quatre percés de flèches.

On en trouve une autre, mais bien plus tard, vers -5000 en Allemagne : trente trois personnes, hommes, femmes et enfants le crâne fracassé par des haches de pierre. On peut aisément imaginer que de tels massacres ont été perpétrés pour prendre la place ou les réserves de l’autre : on ne partage plus, on l’élimine et on s’installe à la place.

Entre la frénésie du toujours plus et la défense des emplacements gagnés, l’état de guerre va s’installer progressivement en quelques millénaires sur toute la Mésopotamie. Mais, les premières guerres avec des armées organisées n’apparaîtront qu’à partir de la Haute Antiquité, vers -3000 ans avant JC. Soldat, mercenaires et esclaves tel devient le sort des hommes. De grands écrits comme l’Odyssée en témoignent à chaque paragraphe. La Méditerranée sera bientôt à feu et à sang.

Des contrées immenses resteront à l’écart de l’agitation guerrière qui sévit en Europe et au Moyen-Orient, protégées par des limites géographiques de type déserts, mers ou montagnes infranchissables. C’est le cas de l’Afrique centrale et du Sud, et d’une partie de la Chine ou, bien plus loin encore, de l’Australie et de l’Amérique. Ces espaces seront l’objet d’une redécouverte bien plus tard. Ainsi, une ligne de démarcation peut se dessiner entre les peuples qui vont entrer dans la grande course-conquête de la planète et ceux qui vont s’en tenir éloignés.

Cette ligne est celle que nous pourrions dessiner en suivant la trace de l’appropriation des terres, la trace de la levée d’armées organisées et permanentes. Nous pourrions suivre cette même ligne pour voir où va apparaître la prostitution. Cette même ligne partage aujourd’hui les pays riches des pays dits en voie de développement.

La première prostituée

La première prostituée désignée par la Bible, c’est une veuve abandonnée. Elle est évoquée au chapitre 38 de la Genèse.

Elle s'appelle Tamar. Son mari étant mort, son beau-père, Juda, envoie son fils cadet auprès d'elle : "Agis envers elle comme le plus proche parent du mort. Va vers la femme de ton frère et suscite une descendance à ton frère ". Mais ce frère rechigne à cette tâche. Il laissait la semence se perdre à terre et le seigneur fit qu'il en mourut. Le troisième frère, Shéla, est trop jeune. Le beau-père dit à Tamar :
- "Reste veuve dans la maison de ton père jusqu'à ce que mon fils, Shéla, ait grandi."
Les années passent et le beau-père oublie sa promesse. Un jour qu'il passe près du village de Tamar, elle se poste sur sa route, tête voilée. La prenant pour une prostituée, il lui dit :
- Je vais t'envoyer un chevreau". Elle répond :
- D'accord, si tu me donnes un gage jusqu'à cet envoi.
- Quel gage te donnerai-je ?, dit-il.
- Ton sceau, ton cordon et ton bâton", répond-elle. Il les lui donne, use d'elle et elle deviendra enceinte de lui.
Quand on informe Juda que sa bru Tamar s'est prostituée et qu'elle est enceinte, il ordonne :
- Qu'on la jette dehors et qu'on la brûle".
Tamar montre alors son gage pour prouver le rôle de son beau-père. Il reconnaît sa faute :
 - Elle a été plus juste que moi, car de fait, je ne l'avais pas donnée à mon fils Shéla ».    La Bible nous dit qu’il se donnera la mort.

Cette histoire, qu’on peut situer à la fin du néolithique, nous dit tout sur le délitement du groupe et sur l’abandon des plus faibles à leur sort. On y voit que tous les hommes vont faillir à leur tâche d’une manière ou d’une autre. Détaillons cet enchaînement de défaillances.

Le mari de Tamar décède. Le clan doit offrir un nouveau mari à Tamar : ce sera le plus proche du décédé. Mais ce cadet trahit l’accord. Pourquoi rechigne-t-il à susciter une descendance à son frère ? Parce que par la mort de son frère, ce cadet devient l’aîné, donc héritier. Faire un enfant à Tamar équivaudrait pour lui à s’auto-déshériter en refabriquant l’aîné dont le sort l’a débarrassé.

Oui, car tant qu’il n’y avait rien à hériter, pas de problème entre enfants. Mais à partir du moment où chacun peut s’enrichir, la guerre va sévir aussi à l’intérieur du clan. Un premier code de la famille qui va être instauré dès Sumer, -3500 va trancher ces conflits. Il institue le droit d’aînesse pour ne pas diviser les biens ! Mais en désignant l’aîné comme héritier unique, on a éliminé toute solidarité entre frères. Pire, on a créé les conditions pour la haine et la rivalité à mort entre eux ! Depuis, l’Histoire est pleine d’infanticide, de fratricide, de parricide et de génocide !

Dès Sumer, les filles sont aussi exclues de l’héritage de leur famille. Et la veuve n’héritera pas non plus de son mari car elle n’a aucune existence  juridique. La loi grecque la classera dans la catégorie  meuble, comme les esclaves. Ainsi, la seule place à l’abri pour une femme, c’est d’épouser un homme (aîné, car si c’est un cadet, il n’a rien) et de lui faire un enfant mâle qui acceptera de la nourrir jusqu’à sa mort. Tamar ne sera donc garantie comme femme de son mari que lorsqu’elle aura donné un fils héritier à la lignée. Elle saisira l’occasion lorsque son beau-père se présentera de se faire faire l’enfant qui l’inscrira dans la lignée de son mari, s’assurant enfin la sécurité qui lui a échappé par trois fois. Deux fois veuves et une fois oubliée ! Oubliée par celui-là même qui était censé garantir la loi du groupe : le plus vieux !

Mais au fait, pourquoi Tamar n’a-t-elle pas été protégée par les hommes de son clan d’origine vers qui son beau-père l’avait renvoyée ? Son clan vit la même réalité que celui de son époux et les hommes y sont tout aussi défaillants ! Morts, ou partis à la guerre, livrés au sauve-qui-peut pour eux-mêmes … ou enrichis et oublieux de leurs devoirs familiaux, eux aussi !

Dans cette fable biblique, les choses rentrent dans l’ordre : le beau-père s’excusera ! Il endossera même la totalité de la faute en se suicidant. Mais nous savons que les dés sont jetés pour les millénaires à venir : le cas Tamar sera suivi de bien d’autres célibataires ou veuves sans fils héritier qui ne simuleront pas, qui n’auront droit aux excuses de personne et qui ne trouveront plus aucune place dans la société.

Plus le clan se délite, plus les enfants, eux aussi, deviennent des bouches improductives à nourrir. Leur sort se détériore en même temps que celui des femmes. Commence pour eux aussi l’ère du rejet, de l’abandon, de la maltraitance, de l’infanticide, de la servitude, de l’enrôlement forcé et bien sûr de la prostitution, pour les garçons aussi. Oui, dès le début de la prostitution, elle a été un recours pour les garçons … la seule alternative au mercenariat quand on n’était pas le fils aîné d’un puissant propriétaire !

Un drame qui dure encore
En ce début de ce qui va s’appeler la civilisation, plus personne ne sera nourri gratuitement, gracieusement, au nom du fait que, comme n’importe quel arbre, il a besoin chaque jour de l’eau et du sel de la terre-mère. Dans ce passage de la fin du néolithique à la Haute Antiquité, on peut dire que l’homme va perdre quelque chose qui pourrait s’appeler la grâce.

« Au grand banquet de l’humanité que pouvait annoncer les progrès du néolithique, tout le monde n’a pas eu de place à la table. »
Jean Guilaine (Apostrophe, 1998)

Les plus faibles socialement, garçons et filles, doivent payer de leur corps au sens propre du terme ce que ni l’argent ni le droit ne leur donne : être protégé, nourri, abrité de la pluie, du froid, des coups, des risques, de la fatigue, de la maladie, de la faim, de l'isolement, de la bêtise, de la misère... Tout ce qui était un minimum est devenu un luxe. A l'armée, dans les tranchées, dans les galères, dans les champs de coton et dans les mines, au travail, comme au bordel, comme à l'asile ou en prison, les pauvres, les malheureux, les plus faibles et les rebelles ont payé mille fois de leur corps le droit de respirer et d’espérer.

J’affirme donc que la prostitution a été le mode de contribution du corps des femmes à l'enrichissement des états et des puissants, chair à pigeon... Comme la guerre a été le mode de contribution du corps des hommes à ce même enrichissement, chair à canon... Et c’est bien dans ce corps physique, au sens de la chair, des muscles, du sang, de la peau, de la sueur et de la douleur que s'inscrit la honte de la terrible dette d'être du côté des faibles.

Martine COSTES- Extrait de « Nature Culture et Prostitution » - paru Chez L’HARMATTAN en 2002
Sources
Les origines de l’homme – Pascal Picq – Historia-Taillandier
La plus belle histoire de l’homme - Collectif – Seuil
L’homme premier - Henry de Lumley – Odile Jacob –
Le sexe et le sacré – Clifford Bishop – Albin Michel
La grande déesse mère – Shahkrukh Husain - Albin michel
L’esprit du don – Jacques t.Godbout. Ed La Découverte