mercredi 27 avril 2011

Elle a tué Shérazade !

Mille et un Merci à Joumana Haddad pour son livre "Jai tué Shérazade" ...que j’ai lu un peu tard mais le temps....



Schérazade, voilà des années que je raconte cette histoire pour introduire mes exposés sur la violence conjugale : comment les femmes ont dû – faute de pouvoir civil, civique et économique – développer ce savoir-faire conjugal que les hommes ont longtemps nommé : « le pouvoir sur l’oreiller ». Utiliser les quelques heures partagées pour obtenir par mille habiletés et stratagèmes ce que le droit vous refuse.

Schérazade, c’est pour sauver sa vie et celles de toutes les jeunes vierges du pays, qu’elle a déployé une imagination incroyable – avec l’aide de sa sœur, d’ailleurs. Probablement bien des habiletés corporelles aussi... Pour d’autres Shérazade, c’est pour une autorisation de faire du cheval, une autre pour s’offrir un ruban, une autre pour avoir le minimum qui permettra de nourrir ses enfants, une autre pour éviter les coups… Oui, cette habileté relationnelle qui lui permettra de déjouer son tyran – ou tout simplement de tirer le maximum de son mari. Et s’il elle n’obtient pas le cadeau, le privilège, la vie sauve… et bien c’est qu’elle n’est pas à la hauteur de la tâche.

Je me suis mise à raconter l’histoire de Shérazade suite aux déchainements très médiatisés de mouvements féministes contre des textes hyperviolents de certains groupes de rap. La violence des Mille et une Nuits n’a jamais fait l’objet d’une demande d’interdiction pour sexisme.Au contraire, ce titre nous plonge dans le rêve de l’Orient magique… À l’évocation de Shérazade, chaque femme se demande si elle lui arrive à la cheville...

Je peux vous dire que : Oui, Mesdames, vous la valez bien ! Toutes. Sinon l’espèce humaine féminine aurait disparu face à la violence subie depuis les dix derniers millénaires : entre le viol arme de guerre, le mariage imposé, l’esclavage et l’abandon pur et simple de la pauvre fille enceinte … bref un programme qui devrait faire honte à l’humanité toute entière.

Mais comme nous y invite Joumana HADDAD, nous pourrions dépasser Shérazade pour obtenir plus que la seule vie sauve : obtenir la pleine vie – la liberté d’être femme, la fierté d’être femme, conquérir le plaisir d’être femme… Pour cela, il nous faut toutes opérer un vrai travail sur nous-mêmes. J’y avais été invitée il y a plus de 30 ans, par une stagiaire camerounaise, Aminata, mariée à un marabout et mère de deux fillettes.

Elle avait négocié sa place dans ce stage d’insertion à la Shérazade : « Mon mari est d’accord. Alors il faut absolument me prendre maintenant. Peut-être que dans six mois, il dira non. Je ne peux pas rater cette occasion. » L'argument méritait toute ma solidarité féminine. Elle a donc intégré cette formation d’AMP.

Et à l’occasion d’un travail du groupe sur quelques articles médicaux, une autre stagiaire a buté sur le mot excision. À vrai dire, la jeune femme a buté sur ce mot car elle avait du mal à imaginer en quoi pouvait consister une telle opération. C’est là que Aminata est intervenue :. « C’est EXCISION. Et je vais vous expliquer ce que c’est ».

Elle a tout dit, en termes simples : comment, à quel âge, l’horreur, l’effroi, la douleur, la douleur encore aujourd’hui. Et les mobiles culturels, médicaux ou religieux - tous fallacieux.  Et pourquoi elle ne retournait pas en vacances dans son pays sachant qu’on exciserait ses filles contre sa volonté. (C’est aujourd’hui interdit au Sénégal depuis 1999). Mais après cette autocritique courageuse de sa propre culture, de son pays, de ses proches, elle s’est mise debout devant le groupe et elle a terminé en disant : « Je sais que cela vous horrifie mais ne vous leurrez pas : en Occident, vous êtes excisées dans la tête ! ».

Merci donc à Joumana HADDAD, comme à Aminata, de nous interpeller nous, femmes occidentales qui - un peu trop facilement – nous croyons au-dessus de la mêlée, porteuses d’un modèle de développement que nous croyons plus avancé que celui des autres…

Merci de nous inviter à explorer notre réalité de femme dans sa grandeur comme dans ses bassesses, dans la quête d’être meilleure, peut-être…

Merci enfin de nous inviter à dépasser le syndrome de la Stroumpfette : au pays des Stroumpfs, il n’y a qu’une seule Stroumpfette. Donc, non seulement il nous faut devenir femme, mais aussi savoir être femme parmi et avec les autres femmes.

Quand dépasserons-nous la rivalité féminine au profit d’une salutaire admiration les unes pour les autres !


Martine COSTES PEPLINSKI – 27 avril 2011

lundi 4 avril 2011

Pénalisation des clients de la prostitution

Un autre aspect du débat infernal : tolérer, organiser, interdire….




Aujourd’hui le Ministère de la Santé envisage pénaliser la prostitution. Comme en Suède, nous dit-on.

Pas tout-à-fait. En Suède on pénalise le proxénète et le client, oui. Mais pas la personne prostituée. La Suède analyse la prostitution comme une violence faite aux femmes. Donc, pas question d’ajouter une violence d’Etat à la violence de la situation de prostitution.

Alors qu’en France, jusqu’ici, on pénalise les proxénètes et depuis 2003, les personnes prostituées aussi. M. Sarkosy, alors Ministre de l’Intérieur avait réintroduit – 40 ans de dépénalisation - le délit de racolage – applicable aux seules personnes prostituées. Ainsi, elles risquent 2 mois de prison et 3000 euros d’amende. Et la police a fait le nécessaire pour appliquer très sévèrement ce texte (+ de 5000 arrestations en 2004). Et les rues de Paris sont devenues magiquement nikelchrome…

Avec la pénalisation du client, la France ne rejoindra donc pas la Suède mais les 70 pays prohibitionnistes du monde de : les USA, l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite, la Russie etc. Pour le client, c’est, selon les pays, une amende, de la prison, vingt coups de fouets, la peine de mort…

Dans tous ces pays, les peines les plus dures sont pour proxénètes – dans les textes. Dans les faits, ce sont les personnes prostituées qui sont le plus souvent arrêtées et punies car ce sont elles qui doivent prendre le risque de se montrer pour arriver à faire leur chiffre. Elles sont donc les plus faciles à attraper. Par ailleurs, même quand elles ont une clientèle huppée, elles ne bénéficient d’aucune protection – contrairement aux proxénètes et à bon nombre de clients.

Dans le monde, la majorité des femmes détenues le sont pour prostitution – et il est simple de comprendre que la prison ne va pas améliorer leur vie. Elles y rencontreront de nouvelles violences, souvent la drogue et à la sortie, elles sont plus endettées qu’en y entrant.

Alors que le monde entier s’émeut « idéologiquement » sur la misère des personnes prostituées, tout un chacun – même les plus humanistes continuent soupirer sur la fatalité du « plus vieux métier du monde », comme Monsieur Badinter excuse le monsieur très bien est arrêté avec une prostituée mineure « c’est difficile souvent de voir si elles ont plus de 18 ans... ». Quand c’est un grand footballeur, on nous explique la grande stratégie de carrière de la jolie call-girl de 16ans ½ … à se demander pourquoi on s’embête à pousser nos filles à faire des études ! Quand un président de la république italien s’offre des petites étrangères, jamais le mot traite des êtres humains n’est prononcé ! Et si l’actrice Charlize THERON a reçu un Oscar pour son interprétation dans MONSTER , les prostituées, elles, continuent d’être incarcérées – et parfois exécutées - sans pitié aux USA.
C’est le sujet sur lequel les solidarités masculines les plus viles fonctionnent à quasi 100/100. Et sur lequel les rivalités féminines entre femme légitime /maitresse /prostituée n’ont pas bougé d’un yota depuis la Grèce antique ! À chaque femme de défendre son territoire. Et depuis que chacune s’autonomise du mari, de l’amant ou du proxo, chacune est de plus en plus seule dans la lutte pour la survie.

Même les hommes prostitués se marrent : « C’est bizarre, les femmes doivent mal se débrouiller car elles sont très souvent arrêtées alors que nous, on a la paix… Les flics nous laissent tranquilles… », narguait un transsexuel dans une réunion publique à la Mairie du Xème en 2009.
Bref, celles qui sont sur le trottoir – soit on veut bien penser qu’elles l’ont choisi – soit ce sont de pauvres filles qui ne savent bien se défendre.
Entre pitié caritative, rejet idéologique, sarcasmes, hypocrisie et mépris, rien n’a bougé. Les quelques services sociaux assignés à ce travail voient leur financement fondre aussi vite que la police nettoie les rues pour nous faire savoir qu’il n’y a plus de problème !
Et c’est toujours la sécurité publique qui guide les grandes décisions. Y compris dans les quelques pays qui légalisent des bordels : ce ne ni pour soigner la misère sexuelle, ni pour prôner une quelconque liberté sexuelle, c’est tout simplement pour un meilleur contrôle de l’activité.
Comment penser qu’en France, la pénalisation des clients vise vraiment à protéger les personnes prostituées : le gouvernement se félicite de sa bonté pour n’avoir arrêté que 2315 personnes prostituées en 2009 – soit 55% de moins qu’en 2004. Mais une lecture attentive de cette évolution nous démontre qu’au contraire, après le nettoyage intensif des rues qui a amené tant de femmes à se cacher, à fuir – et nombre d’entre elles à être expulsées, la répression envers les femmes est encore plus dure aujourd’hui qu’en 2004 !
Rien n’a bougé. Nous restons entre fascination ou épouvantail, la vraie réflexion sur la fonction de la prostitution dans une société n’est pas encore menée !!! Et le contexte anxiogène mondial rend cette petite question si mineure que peu de médias s’y sont intéressés cette fois. Donc, la mesure risque d’être votée dans un désintérêt général total. La France pourra se faire croire qu’elle s’est alignée sur la Suède....
Martine COSTES PEPLINSKI – 4 avril 2011