mardi 8 mars 2011

Une expérience pour la prévention de l'inceste


Une expérience de prévention de l’Inceste
menée pour et avec
SOS INCESTE pour REVIVRE (Nantes)

Article publié dans l’AFIREM - 1999


Notre organisme de formation avait été sollicité en 97 par SOS INCESTE Nantes qui voulait faire de la prévention[1]. Nous leur avons proposé un cadre, un rythme et un schéma de travail pour leur permettre de déterminer les quoi, où, comment ... de cette prévention. Travail que nous avons entrepris avec beaucoup de précautions sachant que SOS Inceste est une association de bénévoles ayant pour la plupart subi l’inceste, donc très susceptibles d’être mis en difficulté personnelle dans cette démarche.

Après un préalable théorique qui visait à être au clair sur notre champ d’intervention, en l’occurence l’inceste (et non maltraitance et abus sexuels dans leur ensemble), nous avons procédé à une étude critique des outils de prévention existants (Mon corps, c’est mon corps, passeport, J’ai peur du monsieur etc.) Il nous est apparu que le plus souvent, le problème d’abus en famille n’est pas évoqué, réservant les abus aux « étrangers ». La famille est présentée comme un secours sans faille : « En famille, on est bien, on me comprend ».

Mais, globalement, la démarche de prévention des abus sexuels adoptée jusqu’ici auprès des jeunes enfants nous parait avoir des défauts importants :
- les images de famille idéale, souriante et unie, peuvent culpabiliser beaucoup d’enfants qui, sans être abusés ou maltraités, n’y reconnaissent pas ce qu’ils vivent.
- pour les enfants non concernés, c’est une introduction terrorisante à la sexualité
            - pour l’enfant victime d’inceste, ce discours l’enferme dans la culpabilité et le sentiment que sa famille n’est pas normale. Il préférera penser que c’est lui qui n’est pas normal. Il semble donc qu’on le bâillonne un peu plus.

Les seuls travaux qui évoquent le risque d’abus en famille sont essentiellement issus de l’approche québécoise : « Mon corps, c’est mon corps ». Si cette démarche est intéressante, il n’empêche que l’on
constate que la prévention consiste à demander à l’enfant de reconnaître l’interdit, puis d’avoir assez de courage et de force pour s’opposer aux adultes. Or, il nous paraît aberrant de mettre l’enfant en situation de faire le rappel des interdits auprès des adultes : c’est le monde à l’envers !  Ce travail s’appuie sur un pouvoir supposé des enfants alors que justement, s’ils sont abusés, c’est qu’ils n’ont pas de pouvoir ! Il nous semble qu’il y là une forme de pensée magique sur la prévention :
- un enfant prévenu vaudrait 1 adulte abuseur + tous les adultes qui vont le traiter de fabulateur !
- la prévention aurait un effet réparateur : or, on prévient avant mais lorsque l’abus est consommé, il n’est plus temps de prévenir, il faut intervenir !

Dernier point, rien n’est dit dans ces outils sur l’après dénonciation publique. Nous savons pourtant que l’enfant sera la cible de culpabilisation et de sanctions multiples, souvent toute sa vie durant[2] alors qu’il n’a qu’une simple demande : que sa torture cesse.  Ainsi, il nous semble que les messages de prévention actuels sont mensongers – au moins par défaut- en présentant une société idyllique prête à entendre, soutenir et défendre … (comme la famille idéale). Or l’enfant va le plus souvent vérifier que la société n’est pas prête à entendre sa plainte : ni police, ni justice, ni école, ni famille ! On pourrait aller jusqu’à dire qu’il est abusé par le discours de prévention qui dit  « On t’aime, on te croit, on te soutient ! » alors que les faits et gestes vont lui faire penser que tout le monde aurait préféré qu’il se taise. Comment peut-il s’en sortir et trouver une place intime et citoyenne stable et sécurisante ?


En conséquence, l’option de prévention adoptée par SOS INCESTE Nantes a été celle-ci :

1.       révéler la souffrance particulièrement torturante de l’enfant victime d’inceste : pour se délivrer, il doit mettre en cause dans son cœur et dans sa tête une personne qu’il aime, à qui il doit souvent la vie, et qu’il ne pourra jamais renier ou oublier, malgré les lois, la prison, la distance et même la mort puisque la filiation biologique est un lien indestructible.
2.       rappeler aux adultes le tabou de l’inceste et leur devoir de protection.
3.       informer les professionnels du sanitaire, éducatif et social, pour les rendre à même de repérer des situations difficiles et d’intervenir sans faire reposer sur l’enfant le poids de la résistance à l’abuseur et de sa dénonciation.
4.       informer sur :
-          signaler n’est pas juger (ce n’est pas à celui qui signale d’enquêter ni d’apporter des preuves = on demande aux autorités compétentes de procéder à des vérifications lorsqu’on a un doute sur une famille)
-          signaler doit se faire dans la grande discrétion : quel que soit le résultat de l’enquête, la famille et chacun des individus concernés ont droit au respect de leur vie privée et nul n’a besoin des commentaires, rumeurs et ragots qui le poursuivront bien longtemps au-delà des faits.
-          signaler est toujours grave, difficile, délicat et parfois risqué: il faut l’assumer ainsi.

La forme choisie est celle de réunions que nous avons appelé « Information Active » où nous invitons le réseau associatif, les professionnels de la santé et du social, de l’éducatif, les professionnels police, justice, les parents d’élèves.

Déroulement :
Nous commençons par 20 minutes de sketches où nous posons simplement la souffrance de l’enfant afin que chacun soit conscient que cette souffrance est définitivement inscrite en lui et que la solution sans dommage n’existe pas.
Ensuite, nous répondons à toutes les questions posées par les participants avec pour souci essentiel de faire passer aux adultes, citoyens et professionnels, présents qu’il leur faut :
- assumer la décision de « révéler pour faire cesser les faits ».
- assumer le rapport de force avec l’auteur de l’abus : nous savons que 80% nient aussi est-il important de défendre la parole des enfants malgré les pressions.[3]
- intervenir au maximum avant par la réaffirmation du tabou de l’inceste
- garder à l’esprit qu’il n’y a pas de famille au-dessus de tout soupçon !


Nous remettons aussi une brochure d’informations et laissons des revues, livres à consulter sur place. Puis, nous partageons un verre car ces moments sont forts et nous avons trouvé important de terminer sur un moment convivial où des questions, des contacts, des demandes d’informations plus personnelles sont possibles.

NB : quant aux éventuels abuseurs présents lors de ces informations, nous considérons que cette information leur fait rappel à la loi. Charge à eux de faire une démarche de soins ou une demande d’aide. L’expérience personnelle de SOS Inceste Nantes leur fait dire que probablement, les auteurs d’inceste éviteront de s’opposer officiellement à la démarche et tenteront plutôt de se faire reconnaître comme « des gens très bien ». Nous considérons cependant que ce type d’intervention a valeur d’alerte pour eux : ils sont prévenus que la loi les condamne et que des adultes ont décidé de se mettre dorénavant en travers de leur chemin pour leur demander compte de leurs actes.

Voilà raconté le plus succinctement possible cette expérience. Nous ajouterons que ce travail se fait en toute modestie. Après plusieurs réunions réalisées au printemps 99, SOS Inceste Nantes envisage de tenir une réunion d’information-active chaque mois – ce qui correspond à la capacité de disponibilité de bénévoles qui par ailleurs assurent des permanences, une écoute téléphonique et des groupes de parole.

Aussi, au-delà d’une réponse très locale et limitée, nous souhaiterions à METANOYA que l’idée de « rappel aux adultes de l’interdit de l’inceste et de leur devoir de protection » soit reprise et partagée avec d’autres. Nous sommes donc ouverts à tout contact à ce propos.

Martine COSTES et Eric PELSY
Co-animateurs de ce travail


Formation réalisée par METANOYA

16 Cité Voltaire75011 PARIS

 Tél : 01 43 45 22 73   Fax : 01 43 45 27 16

metanoya@metanoya.org - site : www.metanoya.org




[1] Ils nous avaient connus à l’occasion d’une formation sur la prostitution et avaient apprécié notre approche croisée et systémique de ces questions si difficiles à traiter dès lors qu’elles impliquent les corps et la sexualité
[2] Ex : une des personnes du groupe indique qu’aujourd’hui encore, 20 ans après, à toutes les fêtes de famille, son abuseur est invité et pas elle !
[3] Nous vivons tous les contre-exemples qui font passer les adultes pour les victimes d’enfants pervers. Sans prétendre que tous les accusés soient tous coupables, nous devons éveiller à la vigilance sur ces renversements de rôles que subissent des enfants qui essaient de sortir des griffes d’un abuseur pervers donc par définition grand manipulateur de l’enfant, de son entourage et de notre opinion !  

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